Tunisie : La violence raciste cible les migrants et réfugiés noirs
La récente tentative du président Kais Saied d’atténuer le grave préjudice causé par son discours du 21 février 2023 aux migrants, demandeurs d’asile et réfugiés noirs africains en Tunisie ne va pas assez loin, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les mesures annoncées le 5 mars sont bien en deçà des actions nécessaires pour mettre fin àla récente vague d’agressions violentes, de vols, d’actes de vandalisme commis par des citoyens tunisiens, d’expulsions arbitraires par des propriétaires et de licenciements abusifs par des employeurs depuis le discours de Saied.
Pendant ce temps, des dizaines de migrants étrangers noirs africains, de demandeurs d’asile et de réfugiés, dont beaucoup se retrouvent soudainement sans abri, campent toujours devant les sièges des organisations internationales, affirmant qu’ils s’y sentent en sécurité que n’importe où ailleurs en Tunisie. D’autres font profil bas ailleurs, confiant à Human Rights Watch qu’ils évitent autant que possible de s’aventurer à l’extérieur.
« Après avoir attisé lui-même la violence contre les immigrés, le président Saied n’a proposé que maigres mesures pour tenter d’y mettre fin », a déclaré Salsabil Chellali, directrice du bureau de Human Rights Watch à Tunis. « Les autorités tunisiennes devraient immédiatement cesser d’arrêter des étrangers noirs africains, étudier les dossiers au cas par cas pour garantir une procédure régulière à toutes les personnes arrêtées, libérer les personnes détenues arbitrairement, enquêter rapidement et demander des comptes aux responsables d’attaques et d’abus racistes. »
Entre le 24 février et le 3 mars, Human Rights Watch a mené des entretiens auprès de 16 ressortissants de pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale qui vivent en Tunisie, et documenté leurs témoignages où ils indiquent avoir été battus, volés ou maltraités depuis le discours du président. Ces 16 ressortissants comprennent sept travailleurs migrants, dont six sans papiers et une résidente en situation régulière ; cinq étudiants ; et quatre demandeurs d’asile enregistrés auprès de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR.
Treize personnes interrogées ont indiqué que des Tunisiens les avaient agressées, volées, discriminées ou bien avaient proféré des insultes racistes à leur encontre, entre le 21 février et le 1er mars. Depuis les déclarations du président, 11 ont été expulsées et 2 ont fui leur domicile craignant pour leur sécurité. Huit des neuf personnes qui travaillaient avant le discours n’ont pas été autorisées à travailler depuis et ont perdu toute source de revenus. Presque toutes ont confié que les déclarations du président et l’augmentation des attaques racistes leur faisaient craindre pour leur sécurité et qu’elles avaient peur de marcher dans les rues.
Une étude de 2021 estime le nombre d’étrangers originaires de pays africains en dehors du Maghreb et se trouvant en Tunisie à plus de 21 000, dans un pays dont la population s’élève à 12 millions de personnes. Environ 7 200 étudient dans des établissements tunisiens, selon le ministère de l’Enseignement supérieur. Le HCR a signalé que 9 000 réfugiés et demandeurs d’asile étaient enregistrés dans le pays au mois de janvier, dont la majorité de Côte d’Ivoire, de Syrie, du Cameroun et du Soudan, et un plus petit nombre de Guinéens, de Libyens et d’autres nationalités.
À partir de début février, la police tunisienne a procédé à des arrestations, ciblant apparemment des étrangers noirs africains en fonction de leur apparence ou des quartiers dans lesquels ils vivent. Au moins 850 personnes auraient été arrêtées sans discernement, apparemment au faciès, selon la section tunisienne d’Avocats sans frontières (ASF).