Des migrants en moins vers l’Europe, des problèmes en plus en Afrique
Les migrations humaines depuis l’Afrique vers l’Europe sont de plus en plus présentées comme représentant une menace pour la sécurité des États et des sociétés. Il en résulte un renforcement des contrôles aux frontières et un durcissement des politiques de délivrance des visas. Ces efforts ont permis de réduire le nombre de migrants africains atteignant l’Europe de manière significative, mais ils ont également eu plusieurs conséquences négatives inattendues.
Les politiques de l’Union européenne (UE) visant à dissuader les migrations africaines vers l’Europe se structurent autour de la Politique européenne de voisinage et du Plan d’action conjoint de La Valette. Les mécanismes opérationnels qui en découlent sont le Fonds d’affectation spéciale d’urgence de l’UE et l’Agence européenne des frontières et des garde-côtes (Frontex).
En Afrique, des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (tels que l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Botswana, l’Égypte et le Maroc) appliquent eux aussi aux voyageurs africains des règles strictes en matière de visas. Il s’agit là pour eux de limiter l’entrée de migrants en provenance de pays à faible revenu.
Au Niger, Agadez (voir carte) constitue un exemple typique de ville qui a vu la question migratoire devenir un enjeu sécuritaire majeur, et qui en a subi des conséquences imprévues. La ville est située sur l’un des principaux itinéraires migratoires reliant l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Maghreb. D’après les estimations, un tiers des migrants qui y transitent finissent par embarquer, sur la côte méditerranéenne, à bord d’un bateau pneumatique à destination de l’Europe. De ce fait, depuis 2015, les responsables politiques de l’UE se concentrent sur cette ville, avec pour objectif d’endiguer les migrations vers l’Europe.
En termes de moyens de subsistance, les principaux secteurs de l’économie d’Agadez (notamment le tourisme, l’exploitation minière et l’agriculture) n’ont cessé de décliner ces dix dernières années, de sorte que les revenus liés aux migrations servaient depuis d’alternative. De nombreux habitants d’Agadez gagnaient ainsi leur vie en fournissant de la nourriture et de l’eau aux migrants, et en tenant des magasins d’où ces derniers pouvaient passer des appels téléphoniques. Avant de démanteler toute cette industrie de la migration, il aurait fallu mettre en place des nouvelles sources de revenus.
L’UE a semble-t-il anticipé cette conséquence, en allouant des fonds considérables au développement : ainsi, 243 millions d’euros ont permis de soutenir des projets agricoles entre 2016 et 2020. Mais la mise en œuvre de ces projets a été trop lente pour compenser les pertes de revenus des populations.
Par voie de conséquence, la perturbation des moyens de subsistance des habitants a entraîné une déstabilisation non seulement au Niger, mais aussi dans la région du Sahel au sens large. Nombreux sont les jeunes hommes qui se sont en effet tournés vers le banditisme pour satisfaire leurs besoins économiques immédiats. Pire encore, cette déstabilisation a permis à Al-Qaïda au Maghreb islamique de s’étendre dans la région du Sahel, y compris au Niger. Des milliers de jeunes qui ont subitement perdu leurs moyens de subsistance pourraient ainsi se radicaliser, créant un foyer de recrutement fertile pour les groupes extrémistes.
L’industrie du trafic d’êtres humains s’est également adaptée à ces nouvelles circonstances. Des passeurs soudanais ont pris la place des passeurs nigériens, et ils ont découvert de nouveaux itinéraires vers la Libye, en passant par le Tchad et le Soudan.
L’émergence de nouveaux itinéraires expose les migrants à davantage de difficultés et de violations des droits humains. Les approches sécuritaires accroissent la vulnérabilité des migrants, ce qui entraîne des violations de leurs droits fondamentaux dans les pays de transit et de destination. En outre, des rapports récents font état d’une augmentation du nombre de décès aux frontières de l’Europe, en établissant un lien avec le renforcement des mesures de contrôle aux frontières.